Un journaliste de Libération m'a interviewé.
Voici son article:
" Fautes de conduite accompagnées
Reportage Sur fond d’explosion du nombre d’accidents mortels en avril, visite dans le cabinet d’un avocat dijonnais qui s’est spécialisé dans la délinquance routière, en particulier dans les cas d’alcoolémie excessive.
Par FABRICE TASSEL Envoyé spécial à Dijon
Pour Fabien Kovac, c’est le rituel du lundi matin. Ce jeune avocat relève ses mails et y trouve invariablement une dizaine de demandes d’aide de conducteurs arrêtés en état d’ivresse le samedi soir, à la sortie des quelques établissements de nuit dijonnais que la police connaît par cœur. Depuis 2005, Me Kovac s’est spécialisé dans la délinquance routière, sur laquelle le gouvernement se penche aujourd’hui après la forte hausse du nombre de morts en avril (355 tués, soit 20% de plus par rapport à avril 2010). Si le drame de Chelles (une famille décimée par un automobiliste ivre le 16 avril) l’a évidemment choqué, cela ne l’a pas plus surpris que ça. Parce que Fabien Kovac voit passer en nombre croissant dans son cabinet des profils similaires à celui du chauffard de la région parisienne. L’avocat considère que «des types comme celui-là au volant, il y en a tous les jours. Plusieurs de mes clients ont eu plus de chance que le type de Chelles, c’est tout. Mais si on veut enfermer à vie un chauffard à 1,64 gramme d’alcool par litre de sang, il va falloir construire deux fois plus de prisons en France».
Me Kovac a chaque semaine une dizaine de contacts sur des affaires de conduite en état d’ivresse, dont la moitié aboutit à un dossier. «Les conséquences d’une infraction sont désormais immédiatement sanctionnées, par un retrait de permis et une immobilisation du véhicule et, en cas de récidive, par une annulation automatique du permis. Donc les gens doivent réagir sur le champ. Souvent, je reçois des appels de conducteurs qui sont au bord de la route au côté du policier qui les a arrêtés.»
Voiturette. Parallèlement à l’alcoolémie festive du samedi soir, il y a les cas plus lourds. Ainsi de ce client qui sera jugé vers la fin mai. Multirécidiviste, déjà condamné à quatre reprises pour conduite en état alcoolique, il est passé à la voiturette lorsque son permis de conduire a été annulé. Sa dernière condamnation remonte à février 2009, six mois de prison dont trois fermes, finalement aménagé par un port de bracelet électronique. Il avait été contrôlé avec plus de 2 grammes d’alcool par litre de sang. «Il sait qu’il est alcoolique, sait qu’il est dangereux au volant, mais ne parvient pas à décrocher», commente Me Kovac. Ce conducteur est un homme de 58 ans, qui a vécu d’une suite de petits boulots, le dernier en date était plombier, mais son statut d’auto-entrepreneur n’a pas été un succès. Plutôt vieux garçon, éloigné de ses enfants, il boit pour se tenir compagnie… mais conduit aussi. Petite victoire, son avocat a obtenu la restitution de son véhicule avant l’audience de mai.
Dans son cabinet moderne de la banlieue dijonnaise Me Kovac voit souvent des profils de ce genre. «Je sais reconnaître les gens qui boivent, les haleines chargées.» Ou ceux qui cohabitent avec leur mauvaise foi. Comme cet ouvrier de 55 ans venu récemment prendre des conseils. Accompagné de son épouse l’homme a raconté comment les policiers «qui l’avaient vu rentrer dans un bar l’ont attendu à la sortie» et l’ont cueilli. Plus tard ce conducteur est revenu voir Fabien Kovac, mais seul cette fois. Il a raconté la cure de quatre mois pour décrocher, l’Aotal et les vomissements, et ce foutu matin où les copains l’ont appelé alors qu’il sortait de la boulangerie, le crochet par le bistrot, le contrôle. Et sa femme qui ignorait tout de sa rechute. Il sera bientôt jugé et redoute, s’il est condamné, de perdre son permis et son emploi dans la foulée.
Dans la large palette des situations, il y a souvent les drames évités de justesse. Ainsi de cet ancien Parisien qui, un soir vers 21 heures, percute sur une petite route de Côte-d’Or avec son 4x4 le véhicule où se trouvaient une grand-mère et sa petite-fille. Il avait 1,36 gramme d’alcool dans le sang. Choc violent, des blessures seulement. «Rien n’a établi que mon client avait provoqué l’accident, mais le dossier n’a été jugé qu’à travers le prisme de l’alcool.» L’homme a été condamné fin mars à six mois de prison avec sursis et une suspension de permis de dix-huit mois. «Il admet sa faute, même s’il se sentait apte à conduire, mais regrette que l’alcoolémie de la victime n’ait pas été vérifiée», plaide l’avocat.
Contrôle. Fabien Kovac ne défend pas que des chauffards, parfois aussi des proches de victimes. Comme, en septembre 2010, cette famille qui a perdu un adolescent de 14 ans dans des circonstances dramatiquement banales. C’était un dimanche de vide-greniers dans un village de Bourgogne. Naviguant de bar en buvette, un homme de 28 ans s’enfile un blanc-cassis, deux bières, deux verres de rosé - total 1,32 gramme d’alcool dans le sang - fume un peu de shit, embarque deux ados dans sa Mercedes, fait la course avec son frère, perd le contrôle de sa voiture dans un virage, s’encastre dans un poteau électrique : un des adolescents meurt sur le coup. En 2003, le chauffard avait déjà été arrêté avec 1,73 gramme d’alcool au volant, ainsi qu’en 2005 à la sortie d’une boîte de nuit. Aux gendarmes, le conducteur ose avancer que la grappe de raisin qu’il a mangée le matin a dû influer sur son taux d’alcoolémie… Le chauffard a été condamné à quatre ans de prison, dont deux ferme. «Mais à l’audience, pas une larme, pas un regret, un type froid qui n’a aucune conscience qu’il a tué et qui peut très bien recommencer en sortant de prison», déplore Me Kovac".
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